Au pays du football, on ne naît pas roi. On le devient. Sur les travers d'une vie tumultueuse alors mêrne qu'il avait atteint le faîte de la gloire, Diego Armando Maradona a perdu les honneurs d'une couronne qu'il tressait à la manière d'un Pelé. Haï par certains, adulé par d'autres, Maradona est-il ange ou démon ? Les deux, mon capitaine ! Et s'il fallait résumer l'existence facétieuse de ce personnage attachant et déroutant en un match, sans doute ferait-on référence au fameux quart de finale de la Coupe du monde 1986. Stade Aztec de Mexico, l'Argentine, dont Maradona porte le brassard de capitaine, défie l'Angleterre. Quatre ans auparavant, les deux nations s'affrontaient encore sur un autre terrain. Il s'agissait de régler le sort des îles Malouines, l'arme au poing. À l'entame de la seconde mi-temps, dans les airs, "Dieguito" prend le meilleur sur Peter Shilton, le gardien anglais. Mais en fait d'un but de la tête, c'est de la main que Maradona ouvre la marque. Tout le stade note la supercherie sauf l'arbitre. Les Anglais, encore abasourdis, assistent impuissants au raid solitaire du numéro 10 argentin, lancé balle au pied de sa propre moitié de terrain. Il slalome six Anglais médusés avant dé| parachever son œuvre. Le but le plus spectaculaire du tournoi vient d'être inscrit. À la sortie des vestiaires, Maradona, en mystificateur, fait passer sa main pour celle de dieu. Après Diego la triche, les spectateurs du monde entier s'émerveillent devant Maradona l'étoile. "El Pibe de Oro" pavoise mais seul son pied gauche est divin !
Diego Armando Maradona a vu le jour le 30 octobre 1960 à Lanus. Il est le cinquième enfant de Diego Maradona et Dalma Salvadora.Franco plus connue sous le nom de Dona Tota. La famille, qui comptera jusqu'à huit héritiers, survit à Villa Fiorito, l'un des innombrables bidonvilles jouxtant Buenos Aires. Le jour de son troisième anniversaire, Diego Maradona fils reçoit de son oncle le plus beau des cadeaux : un ballon. Si l'on se fie à la légende, "Dieguito" ne veut pas lâcher le cuir. Au point de dormir avec... Rapidement, "Pelusa" - son surnom à l'époque - se joue des sinueux terrains vagues de Villa Fiorito. Sa conduite de balle est unique, ses dribbles racés, son toucher précis. Ses camarades de jeu ne sont pas jaloux. Goyo Carrizo fait partie des équipes de jeunes d'Argentinos Juniors. Un jour de décembre 1970, il embarque son ami Diego avec lui. Francisco Cornejo, l'éducateur n'en est jamais revenu. Avec Maradona, les "Cebollitas" - les "petits oignons", surnom des équipes de jeunes d'Argentinos Juniors - font pleurer tous leurs adversaires : 136 matches, aucune défaite, qui dit mieux ? Alertée par le phénomène, une équipe de la télévision argentine pose ses caméras à Villa Fiorito. Entre deux séries de jonglages, le jeune prodige déclare avec aplomb qu'il souhaite disputer la Coupe du monde et la gagner. Le 20 octobre 1976, Diego Armando Maradona fait ses premiers pas en Première Division contre Tallares de Cordoba. En une mi-temps passée sur le terrain, le surdoué éprouve la grâce d'un cadeau divin, dix jours avant ses seize ans. "C'est la seule fois dans toute ma carrière où j'ai eu l'impression de toucher le ciel de la main", se remémorera plus tard l'artiste. Argentines a perdu mais Maradona, lui, a déjà conquis l'estime de l'opinion. El Crafico, sans doute impressionné par le petit pont tenté et réussi dès le premier ballon, a décerné au jeune joueur un très laudateur 7 sur 10. Le 14 novembre, Lucangioli, le gardien de San Lorenzo, est le premier d'une longue liste, à subir les diableries de Maradona. César Luis Menotti, le sélectionneur national, tombe sous le charme et le culot du prodigieux gaucher. En février 1977, il fait appel à Diego contre la Hongrie. Les "Gauchos" s'imposent largement (5-1). Qualifiés d'office pour le Mondial qu'ils organisent en juin 1978, les Argentins sont portés par tout un peuple qui rêve d'une consécration mondiale. Menotti a la pression. Il préfère miser sur l'expérience. Au dernier moment, il écarte Maradona au profit de Beto Alonso. Maradona regagne sa chambre en pleurs. Le rêve de l'adolescent n'est pas brisé. Il est simplement reporté à plus tard.
Depuis plusieurs saisons, Argentines Juniors bataille pour ne pas sombrer dans les oubliettes du football argentin. La sélection argentine est sur le toit du monde mais Menotti, du haut de son trône, n'a pas oublié le petit Diego. Le 2 juin 1979, Maradona ouvre son tableau de chasse avec l'équipe nationale lors d'une rencontre amicale disputée à Glasgow face à l'Ecosse. Le sélectionneur responsabilise Maradona et le désigne capitaine de la sélection appelée à disputer le Mondial juniors au Japon, en août. Auteur de 6 buts en 5 matches, il triomphe avec l'Argentine. "C'est incontestablement la meilleure équipe dont j'ai fait partie", estimera-t-il au terme de sa longue carrière. Le pouls d'Argentinos Juniors bat au rythme des coups de génie du natif de Villa Fiorito. S'il inscrit 43 buts en 45 rencontres lors du championnat 1980, Diego Maradona comprend aussi qu'il est désormais à l'étroit dans son club formateur. Maradona est devenu le joueur le plus populaire pays. Il rejoint donc le club le plus aimé du pays. Avec Boca Juniors, il remporte son premier titre national et conserve ses couronnes de meilleur joueur d'Amérique du Sud et de meilleur joueur du championnat national. L'Europe est à ses Les supporters de Boca se mobilisent pour son départ. En juin 1982, ils se rendent pourtant a l'évidence... économique. Maradona prend la Direction de l'Espagne et du FC Barcelone. Au passage, Boca encaisse la coquette somme de 45 MF.
La presentation au public catalan est cocasse. Maradona et l'Argentine ouvrent en effet le Mondial 1982 au Nou Camp face à la Belgique. Les curieux n'ont de regards que pour le meneur Argentin. La fête s'annonçait grandiose, elle tourne au vinaigre. Les champions du monde en titre sont battus puis vainqueurs de la Hongrie (4-1) et du Salvador (2-0), les Argentins sont battus face à l'Italie et au Brésil au deuxième tour. Face aux artistes brésiliens, Maradona cede a la nervosité et quitte le terrain à cinq minutes de la fin et Coupe du monde par la petite porte. Cette aventure préfigure en somme sa faillite espagole. Car sous les couleurs de Barcelone, Maradona restera deux saisons. À vingt-deux ans, il est annoncé comme le messie. Victime d'une hépatite, "El Pibe de est coupé dans son élan après des debuts prometteurs (13 matches, 6 buts). Le stratège argentin nest pourtant pas si pressé de revenir, dit-on. Ses relations avec Udo Lattek sont difficiles. De l'arrière droit à l'ailier gauche, l'entraîneur Allemand du Barça apprécie les marathoniens, Maradona n'est pas un coureur de fond. Lattek est remplacé par Menotti. Placé dans des meilleures conditions, Maradona est prêt à exploser. Excepté qu'en septembre 1983, il croise la route d'un certain Goicoetxea. D'un tacle à l'emporte-pièce, le defenseur de l'Athletic Bilbao devient tristement célèbre: jambe cassée et saison de Maradona terminée. Le convalescent ne fait son retour qu'en fin de saison. Mais Nunez se lasse jeu de jambes de night cluber. Maradona est vendu trois mois après les incidents de la finale Coupe d'Espagne (contre... Bilbao !). Il est grand temps d'abréger son séjour catalan. Nunez, qui a pris en grippe l'Argenttin qu'il juge hautain et dédaigneux, négocie .
À Naples, le début de l'été 1984 est rythmé par le feuilleton Maradona. Viendra, viendra pas ? Les discussions sont serrées entre le président du Barça et les négociateurs napolitains. Pour 75 MF, le transfert est finalement conclu. Corrado Ferlaino jubile. Le patron du Napoli SSC a réalisé le coup du siècle. Le 5 juillet, au stade San Paolo, les Napolitains jouent des coudes pour assister aux présentations. Le nombre des photographes et journalistes impose d'organiser deux entrées en scène. Le club du Sud vient tout juste d'échapper à la relégation. En maestro d'un orchestre aux allures de kermesse, Maradona parvient tout de même à porter le Napoli au huitième rang en 1985. Auteur de 14 buts, il gagne définitivement le cœur des Napolitains après l'installation en Italie de sa famille au grand complet. Soit une cinquantaine de personnes... "El Pibe de Oro" incarne la réussite dont toutes les marnas rêvent pour leur fils. Rien n'est trop beau pour lui. Pas même la Villa Paradiso, somptueuse demeure en surplomb de la ville. Quand Giordano et Garella s'engagent, Maradona sourit : "Le peuple a l'équipe qu'il mérite. Je crois que l'on va bien s'amuser", prédit-il.
Maradona voit juste. Naples poursuit son implacable ascension. Troisièmes du Calcio, les Sudistes menacent sérieusement la suprématie des clubs du Nord. Le Napoli renverse même la Juve de Platini grâce à une merveille de coup franc de l'Argentin. Cela n'était plus arrivé depuis des lustres. Toute une ville s'identifie à la réussite de celui qu'elle considère comme son fils. Elle lui pardonne même un tir au but raté au Stadium de Toulouse et cette élimination prématurée de la Coupe de l'UEFA qui s'ensuit. L'Italie, vaincue en huitième de finale de la Coupe du monde 1986, Naples reporte sa fierté et ses espoirs sur l'Argentine de Maradona. Au premier tour pourtant, Diego donne la réplique à Altobelli et joue un vilain tour à la Squadra Azzurra. Un doublé, controversé, en quart de finale face à l'Angleterre, un autre en demi qui terrasse la Belgique, voilà l'Argentine portée en finale par son capitaine. Du Mexique, Maradona rayonne sur le monde. Si Burruchaga, son précieux adjudant, qui profite d'un parfait service du maître, marque le but décisif de la finale face à l'Allemagne (3-2), personne ne s'y trompe. Maradona, haut de son mètre soixante-cinq, est le plus grand de tous.
La technique est de plus en plus asservie à la puissance athlétique, et pourtant Maradona parade. On interroge ses entraîneurs sur le sujet de cette déconcertante facilité face aux géants qui poussent un peu partout sur son chemin. "Diego possède un corps incroyablement compact et deux cuisses énormes pour sa taille. C'est un athlète de jaillissement, très rapide dans ses démarrages et ses courses", explique le préparateur physique de la sélection. L'explication de Menotti, qui l'a vu débuter, vaut également le détour : "Diego est un génie, dit-il. Il fait avec les pieds ce que d'autres ne pourraient même pas faire avec les mains." Vainqueur de la Coupe du monde, Maradona assouvit son rêve d'enfance. Reste à réaliser ceux du peuple napolitain. Fondé en 1926, la vitrine des trophées du SSC Naples ne renferme que deux Coupes nationales. L'heure du Scudetto a sonné. Diego et ses camarades de jeu Bagni, Carnevale, Garella et Giordano font la course en tête pratiquement toute la saison. La folie s'empare de Naples le 10 mai 1987, jour du sacre. Dauphins du Milan AC puis de l'inter Milan, les Napolitains, avec un Maradona toujours virtuose, conquiè-rent de surcroît la Coupe de l'UEFA en mai 1989 aux dépens de Stuttgart puis un nouveau titre national en 1990.
Maradona a trente ans. Il attend le Mondial italien pour fermer le bal d'une décennie fantastique. Mais les "gauchos" flamboyants ont vieilli depuis leur succès en 1986. Maradona n'échappe pas à la règle. Sous l'éteignoir des défenses adverses, le Napolitain ne parvient plus à transcender le jeu des Ciel et Blanc ni à sortir la compétition de son mortel ennui. Caniggia sauve les apparences. L'Argentine, après un repêchage au titre du meilleur troisième, élimine le Brésil en huitième (1-0), la Yougoslavie en quart (0-0, 3-2 t.a.b.) et l'Italie en demi-finale (1-1, 4-3, t.a.b.). En finale, les Argentins retrouvent les Allemands. Ces derniers tiennent leur revanche grâce à un penalty, néanmoins discutable, transformé à cinq minutes de la fin par Brehme. Maradona, qui avait blousé quatre ans plus tôt, ne supporte pas l'injustice. L'image de son visage en larmes est saisissante. Retour de bâtons du destin... le temps des adieux est-il venu ? C'est mal connaître sa passion dévorante pour le jeu qui est sa raison d'être. Sa déraison aussi car une destructrice descente aux enfers commence pour lui. Le 17 mars 1991, Maradona, convaincu de dopage, est suspendu 15 mois. Les supporters napolitains enragent et n'attendent que son retour. Maradona, brouillé avec ses dirigeants, refuse d'enfiler la tunique bleu ciel. Il est transféré à Séville en octobre 1992 où il ne reste qu'une saison. Ce n'est déjà plus qu'un fantôme.
Il rentre au pays un an plus tard, motivé par la Coupe du monde 1994. Ses supporters les plus fervents passent de déception en déception. Car à chaque lueur de salut s'ensuit irrémédiablement la série noire. Maradona débute pourtant le Mondial en fanfare d'une frappe de rêve face à la Grèce. Diego laisse paraître sur son visage la joie mêlée de rage d'un diabolique revenant. Mais le retour tourne court. Maradona, à nouveau contrôlé positif - à l'éphédrine - est exclu de la fête deux matches plus tard. Il tâche de se racheter une conduite en tant qu'entraîneur de Corrientes mais renonce au bout de deux mois. Durant quatre mois, sa reconversion en technicien ne fait encore que balbutier à la tête du Racing. Le terrain lui manque trop. Diego tente un retour avec Boca Juniors mais il doit se rendre à l'évidence du temps perdu et raccrocher les crampons le jour de son trente-septième anniversaire. Dans les coulisses de la sélection, son nom est encore murmuré avant la Coupe du monde 1998. Mais Maradona ne reviendra pas. "El Pibe de Oro" est usé par la cocaïne. À Cuba, il poursuit le combat de sa vie. Décrocher d'un enfer quotidien : la drogue. Dans la tribune de presse du Parc des Princes, lors de la Coupe du monde 1998, on questionne un journaliste argentin très influent sur le cas Maradona. Celui-ci s'intéresse à la carrière du légendaire gaucher depuis presque un quart de siècle. Compilés ses souvenirs, notre confrère, désabusé, se permet un raccourci des plus cyniques. "Petit, Maradona a échappé à une mort atroce. Tombé dans une fosse sceptique, il ne dut son salut qu'à l'intervention de l'oncle d'un de ses amis. À vrai dire, nous avons l'impression, nous autres commentateurs argentins, que Maradona se plaisait dans sa fosse sceptique. Il avait tout pour réussir. À presque quarante ans, Diego est à nouveau plongé dans une sacrée merde..."
Il rentre au pays un an plus tard, motivé par la Coupe du monde 1994. Ses supporters les plus fervents passent de déception en déception. Car à chaque lueur de salut s'ensuit irrémédiablement la série noire. Maradona débute pourtant le Mondial en fanfare d'une frappe de rêve face à la Grèce. Diego laisse paraître sur son visage la joie mêlée de rage d'un diabolique revenant. Mais le retour tourne court. Maradona, à nouveau contrôlé positif - à l'éphédrine - est exclu de la fête deux matches plus tard. Il tâche de se racheter une conduite en tant qu'entraîneur de Corrientes mais renonce au bout de deux mois. Durant quatre mois, sa reconversion en technicien ne fait encore que balbutier à la tête du Racing. Le terrain lui manque trop. Diego tente un retour avec Boca Juniors mais il doit se rendre à l'évidence du temps perdu et raccrocher les crampons le jour de son trente-septième anniversaire. Dans les coulisses de la sélection, son nom est encore murmuré avant la Coupe du monde 1998. Mais Maradona ne reviendra pas. "El Pibe de Oro" est usé par la cocaïne. À Cuba, il poursuit le combat de sa vie. Décrocher d'un enfer quotidien : la drogue. Dans la tribune de presse du Parc des Princes, lors de la Coupe du monde 1998, on questionne un journaliste argentin très influent sur le cas Maradona. Celui-ci s'intéresse à la carrière du légendaire gaucher depuis presque un quart de siècle. Compilés ses souvenirs, notre confrère, désabusé, se permet un raccourci des plus cyniques. "Petit, Maradona a échappé à une mort atroce. Tombé dans une fosse sceptique, il ne dut son salut qu'à l'intervention de l'oncle d'un de ses amis. À vrai dire, nous avons l'impression, nous autres commentateurs argentins, que Maradona se plaisait dans sa fosse sceptique. Il avait tout pour réussir. À presque quarante ans, Diego est à nouveau plongé dans une sacrée merde..."
Documentaire Arte
VF 1993
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